Toto regarde par la fenêtre. Deux hommes attendent dans une voiture.
Le lendemain, Toto regarde par la fenêtre. Deux hommes attendant toujours dans une voiture.
Toto a une copine, elle s’appelle Zaza.
« Zaza, ce doit-être des policiers, ils étaient déjà là hier.
-pfff, n’importe quoi ! Tu regardes trop de films !» lui rétorque Zaza.
Ce doit être l’hiver, ou une autre de ces saisons où il fait toujours nuit à Paris.
Zaza et Toto vont se promener et passent devant la voiture, où deux hommes toujours attendent. Zaza est jeune et jolie. Les deux hommes n’ont pas ce rictus qui accompagne la blague salace, pourtant Toto jurerait qu ‘ils se disent quelque chose à propos de Zaza.
Étrange pense Toto.
Puis la voiture disparait. Oui, comme ça, Toto regarde par la fenêtre, et la voiture n’est plus là.
Quelques jours plus tard, la nuit, toujours. À Paris, parfois les nuits ne finissent jamais. Toto gare sa voiture non loin de l’entrée de son immeuble. Il est accompagné de Zaza. Toto aime Zaza. Il serait plus juste alors de dire que Toto accompagne Zaza, et non l’inverse.
Zaza et Toto sortent de la voiture.
Toto doit poster une lettre, et demande à Zaza de l’attendre ici cinq minutes, sur le trottoir, le temps pour lui d’aller à la boite-aux-lettres, là-bas, juste au coin de la rue.
Lorsque Toto reviens, un clochard a abordé Zaza et semble lui demander quelque chose. Elle a sortie son téléphone, et le tend au clochard. Mais celui-ci voyant Toto arriver, et comprenant que Toto accompagne Zaza—et non l’inverse—se désiste, malgré les encouragements engageant de Zaza : « Mais si, c’est bon, tu peux donner un coup de fil ! » lui lance-t-elle alors qu’il s’en va, l’air un peu perdu.
Car Zaza a le cœur sur la main. Il lui a demandé s’il pouvait utiliser son téléphone. Elle allait le lui donner lorsque Toto est arrivé. Il aurait pris peur et s’en va boitillant, genre un peu amoché le gars. Ou feint-il?
Remontant rue de Buzenval, vingtième arrondissement de l’Est de ce Paris où les nuits ne finissent jamais, Toto dit à Zaza : « C’est un peu bizarre comment il a pris peur de moi ». S’il voulait téléphoner, quelle différence que Toto soit là ou non. Et Toto est d’un avenant plutôt sympathique et peu menaçant, pour ne pas dire maigrichon. Toto ne montre pas les dents, bavant et le regard plein de sang injecté : ce n’est que bien plus tard que Toto sera mordu dans la foret amazonienne par une chauve-sourie enragée.
Cette fois, Zaza acquiesce.
« Oui, c’est un peu bizarre. J’aimais bien son gros nez, on aurait dit un nounours.
-Ouai, bizarre le nounours… »
Ce n’est que un ou deux jours plus tard, que Toto reconnaîtra le clochard. La police le recherche activement pour sept viols suivit de meurtres au couteau, et diffuse cette photo sur laquelle sont nez a enflé. C’est ce qui lui donne un air de nounours hébété, la bouche entrouverte, peut-être parce qu’il lui est difficile de respirer par son nez meurtri.
Il est arrêté alors qu’il s’apprête à faire ses emplettes dans un supermarché. Ses victimes sont toutes des femmes jeunes et jolie de l’Est Parisien où la nuit ne finit jamais. Sa mère adoptive le qualifiera de très gentil, mais l’aura rendu tout de même à la Dass, après qu’il eu tenté d’étrangler ces deux sœurs.
Plus tard, Toto notera qu’une des mères de victime appelait sa fille Zazette, le même surnom donné à Zaza. La mère de Zaza appel aussi sa fille Zazette. Petite coïncidence.
Mais—coïncidence qui plongera Toto dans une grande perplexité—lorsque Zaza reportera l’affaire à sa sœur récemment marier, celle-ci lui demandera de surtout ne pas en parler à son mari. L’une des victimes était à l’époque la petite copine du dit mari. Traumatisé par l’affaire, celui-ci s’était alors engagé dans les commandos pour quelques années. Maintenant il entamait une nouvelle page de sa vie… oublier donc.
Toto pense que la vie est une succession de coïncidences extrêmement improbables. Commençant avec les trop nombreux spermatozoïdes face à l’unique ovule. Lorsque quelque chose d’énorme arrive, comme un tsunami, alors on met les événements en rapport les un aux autres.
Toto sera allé porter des sacs de boues à Hishinomaki, après que la ville ait été touchée pas le tsunami. Ce n’est que plus tard qu’il apprendra que c’est de cette même ville, Hishinomaki, que son grand-père a embarqué pendant la guerre, à bord d’un bateau qui ne reverrait jamais la terre ferme. Toto ne verra jamais son grand-père. Volontaire pour le nettoyage, Toto regardera l’océan meurtrier, sans savoir que cette même côte, ce même port, furent la dernière terre que foula son grand-père. Sa grand-mère aura ici fait ses adieux d’une main, portant de l’autre, son fils, le père de Toto.
Toto regarde un film expliquant la création de l’univers, et le film est interrompu, par hasard et par perte de connexion, à l’instant même où le narrateur exprime la notion de rien. Rien, nada, NOTHING. « Un pur néant », comme dirait maître Eckart. Et il ajouterait : « Si tu trouves néant, l’unique raison en est que tu cherches un néant »
Laissant le lecteur perplexe.
Durant quelques secondes, Toto restera devant l’écran noir, croyant être le jouet de l’astuce narrative métaphorique osée d’un metteur en scène génial. Oui, « Génial ! » est-il prêt à s’exclamer, les yeux écarquillés, l’adrénaline envahissant soudainement ses veines, distorsion de l’espace, du temps, excitation. Oui !
Mais non. Ce n’est qu’une coïncidence, une perte de connexion soulignant opportunément et à l’insu du metteur en scène, le concept majeur du Rien, le néant, le vide le plus absolue, le plus pur, le plus limpide. Comme du cristal, mais fait de rien. Non ! De rien de rien. Comme ça il n’y a rien à regretter.
Toto voudrais trouver un sens à ces coïncidences.
Mais de sens, il n’y en a aucun.
Rien, le vide.
Nothing.